Augusto Boal

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Artigo de Julian Boal – Elementos de Reflexão Sobre o Curinga

28.10.2011

O artigo a seguir, de autoria de Julian Boal, está ainda em francês. Resolvemos publicá-lo mesmo assim por várias razões. Em primeiro lugar por ser muito interessante e em segundo por considerar que muitas pessoas falam francês, uma língua não tão difícil para os que possuem o espanhol ou o português como língua nativa. Por último, prometemos publicar a tradução em breve!

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Éléments de réflexion sur le Joker

 

            Le seul objectif que s’assigne ce texte est d’apporter une contribution théorique et pratique sur le rôle du Joker. Cette fonction est la seule qui soit oui nouvelle dans le Théâtre Forum et pourtant très peu de textes[1] existent qui la décrivent ou la commentent. Ce texte vise donc à pallier cette lacune, mais il n’a en aucun cas la prétention de la combler entièrement.

            Le fait que le Théâtre Forum ne soit pas une nouvelle page dans l’histoire du Théâtre[2] est à mon sens régulièrement prouvé par le fait que plusieurs troupes dans le monde ont réalisé des spectacles, et continuent à le faire, de Théâtre Forum en utilisant des textes dramatiques qui n’avaient absolument pas été conçus pour ce type de représentation. Le premier à l’avoir fait n’est autre qu’Augusto Boal lui-même lorsqu’il a « Forumisé » la Femme Juive, un texte de Brecht inclus dans Grand’peur et misères du IIIème Reich. Il y a quelques mois, Adrian Jackson mettait en Forum Woyzeck à Londres et j’ai eu des échos d’une expérience similaire réalisée avec Antigone en Croatie.

            Il ne s’agit pas ici de discuter si de telles expériences sont pleines de sens ou même si elles furent couronnées de succès. Il me suffit juste de constater que pour que ces pièces deviennent Forums, l’unique ajout essentiel fut la figure du Joker. Tous les autres éléments y figuraient déjà sauf celui-ci, essentiel au Forum.

            Il est donc normal que beaucoup de praticiens du Théâtre de l’Opprimé, ou de personnes aspirant à le devenir, s’interrogent sur ce nouveau venu.

            J’y répondrai, en me nourrissant de mes propres expériences, des expériences dont j’ai été témoin, des discussions que j’ai eu. Je parlerai en premier lieu ce que je crois être la fonction essentielle du Joker et deuxièmement, je parlerai des trucs auxquels on recourt des jokers que j’ai rencontré dans plusieurs parties du monde.

            Si la fonction du Joker est difficile, c’est parce qu’elle cristallise en elle tous les éléments du Forum. Le Forum idéal est théâtre, fête, assemblée générale, acte de solidarité, lieu de discussions et de prises de décision, une image d’une société idéale dont les membres ne subiraient plus les rapports de force, mais seraient capables de s’inventer. Il est également moyen pour essayer de parvenir à cette société, il est une adresse au Pouvoir et aussi une menace en ce sens qu’il peut toujours être l’ébauche d’une conspiration contre celui-ci.

            Il n’est pas étonnant alors que le Joker devant assumer, et rendre visibles, autant de paramètres soit une fonction difficile. Mais je crois que les deux paramètres qui doivent vraiment servir de ligne directrice au Joker ne sont pas ceux que je viens de nommer : ce sont le respect de la parole de chacun et l’effort pour auto-activer l’ensemble de la salle.

            Il y a là, à mon point de vue, une contradiction. Le respect absolu de la parole de chacun pourrait conduire à l’ennui pour le reste de l’audience, un ennui qui serait synonyme de passivité, de mutisme absent. Essayer en permanence que la salle soit « active » peut conduire le Joker à n’être plus qu’un animateur d’auditoire, un chauffeur de salles qui alignerait blague sur blague, passant de point d’orgue en point d’orgue, empêchant ainsi toute capacité de réflexion de la part des spect-acteurs.

            Il n’y a pas d’autre moyen de résoudre ce paradoxe que de l’assumer pleinement, le mener de front, essayer de faire cohabité ces deux pôles contradictoires. Ces deux éléments sont nécessaires et imprescriptibles. Le respect de la parole de chacun est l’élément sans lequel le spect-acteur ne pourrait avoir la confiance nécessaire pour monter sur scène, donner ses mots, ses gestes au public ainsi qu’aux autres acteurs et au Joker. Ce qu’il dira peut être discuté, critiqué, jamais jugé. Il faudra parfois que le Joker l’interrompe, lorsque la solution n’évolue plus, lorsque l’élément imprévisible qu’il apportait s’est stabilisé dans un rapport de forces qu’il lui est défavorable et qu’il n’arrive pas à surmonter. Peut-être existe t’il d’autres raisons qui justifie l’interruption de son intervention, s’il use de la violence, si ce qu’il dit ou fait est absolument incompatible avec le rôle qu’il assume, mais cette interruption se devra, elle aussi, d’être respectueuse. Le Joker peut lui demander alors s’il pense avoir fini, s’il a quelque chose à ajouter.

            Je crois que considérer que la seule et unique forme d’activer un spect-acteur est de le faire monter sur scène est une conception restrictive et qui si elle était vrai serait assez triste pour le Théâtre-Forum. En effet, supposons que l’on fasse un spectacle pour une cinquantaine de personnes, nous savons que seul 5 à 10 personnes feront des interventions. Quand advient-il des 40, 45 autres personnes ?            Restent-elles inertes ?

            Croire que seuls ceux qui montent sur scène se libèrent de leur condition passive et acritique est pour le moins méprisant pour les autres formes de Théâtre sociales, politiques et militants. C’est aussi une ressacralisation de la scène que de lui conférer, et à elle seule, la vertu de rendre libre ; nous serions bien de la « vulgarisation », au sens le plus haut de ce terme, donner au peuple, que désire le Théâtre de l’Opprimé.

            Le Joker doit donc faire en sorte que tous participent. Il doit pousser les gens à la réflexion, être un miroir de leurs pensées, donner à l’assemblée ce que chacun lui a dit. Il doit être ce que Platon disait de Socrate « un taon au flanc de la société » : il doit les irriter dans le sens qu’il doit essayer, avec eux, de les  mettre dans un état de créativité, de discussion tel qu’ils s’éloigneront de leurs schémas de pensée habituelle, que leurs raisonnements quotidiens leur apparaissent soudain comme étrangers. Il doit essayer de faire en sorte que l’apparition probable d’opinions contraires ne suscitent pas un repli sur des préjugés, mais au contraire pousse à la réflexion et au dépassement possible de ceux-ci.

            J’ai assisté une fois à un spectacle-forum sur le sida dans une prison pour femmes au Brésil. L’un des nœuds du conflit où les spect-acteurs étaient invités à prendre la place du protagoniste était une scène où le patron d’une entreprise exigeait d’un candidat à l’emploi qu’il fasse des tests de santé dont un dépistage du sida, tests dont lui le patron aurait connaissance des résultats. Dans la salle, les opinions étaient partagées, certaines prisonnières trouvaient qu’il était juste que le patron sache si ces employés étaient séropositifs ou pas[3]. À un certain moment dans la salle, une des prisonnières à commencer à parler, elle parlait du préjugé dont souffraient les séropositifs, elle s’est ensuite déclarée elle-même comme séropositive et à raconter son expérience de la discrimination en des termes très touchants, elle fut ensuite applaudie par le reste de l’assistance. Dans ce lieu qu’est une prison brésilienne normale où les conditions sont si atroces que les prisonniers sont obligés de revêtir des masques de violence et d’animalité afin de préserver un minimum vital de privacité, cette prisonnière avait réussi à créer, ne serait-ce qu’un instant, une relation autre à travers laquelle les autres prisonnières ont pu lui manifester de la solidarité.

            Le Joker aurait-il du l’interrompre ? Lui autoriser la parole qu’à la condition qu’elle vienne sur scène ? Je ne le pense pas. Si tout est Théâtre, alors reconnaissons que ce qui vient du parterre a également une valeur que nous ne devrions pas méconnaître ou sous-estimer.

Quelques trucs pratiques

 

            Il n’existe pas de Joker parfait dans l’absolu. Il existe de Jokers parfaits dans des conditions précises. Si l’on est face à six cents personnes ou dix, on ne « joke » pas de la même façon. Face à un public surexcité ou apathique, lié par une lutte commune ou atomisé, fragile ou fort, avec la présence des oppresseurs dans la salle ou pas, le Joker doit répondre aux situations concrètes dans laquelle se trouvent les spect-acteurs.

L’image la plus approprié pour le Théâtre de l’Opprimé et le Théâtre social, politique ou dans l’éducation en général n’est pas celle d’une chaîne de montage : on ne met pas un individu à un bout de la chaîne et à la fin, on obtient tel ou tel résultat (la confiance, la tolérance, le respect,…). Nous évoluons dans des situations diverses et variées et nous devons réagir face à ces diversités.            C’est pourquoi le Joker ne peut pas disposer de dogmes, mais seulement de trucs.

            • Pour savoir si le Public est encore intéressé dans l’intervention :

            Un certain temps après que l’intervention a commencé, le Joker peut s’approcher de plus en plus du lieu où se déroule l’action. Si lorsqu’il s’approche lentement du spect-acteur, le public commence à le regarder lui plutôt que le spect-acteur, c’est qu’ils attendent de lui qu’il fasse quelque chose, qu’il intervienne. S’il continue à regarder le spect-acteur, c’est qu’ils y trouvent encore de l’intérêt et veulent continuer à voir quels seront les rebondissements de son action.

            • Pour chauffer la salle avant le spectacle:

            – Expliquer les règles du jeu de la façon la plus simple et la plus claire.

– quelque jeux simples ; des jeux qui peuvent se faire assis (cercle et la croix, John and Paul, etc.) au début, si le public est réceptif, on peut ensuite les demander de se lever pour faire des exercices plus physiques.

            • Pour chauffer la salle juste avant le début des interventions :

–         Demander à tout les acteurs de se présenter en ligne. Le public devra dire comment il a vu tel ou tel personnage (par exemple : « couard », « paresseux », « mais avec un bon cœur »). L’acteur devra ensuite faire une statue où sera présent toutes, ou autant que possible, les caractéristiques décrites par la salle (en filant l’exemple, une statue d’un peureux au cœur d’or mais avec un poil dans la main)[4].

–         Demander à la salle de se partager en petits groupes pour discuter de ce qu’ils ont vu et de commencer à réfléchir à des interventions.

• Pour encourager le public à monter sur scène :

–         le Joker, lors de la deuxième représentation, doit se tenir dans une position visible pour le public. Si celui-ci tarde à réagir, il peut se déplacer dans l’espace qui sépare la salle de la scène en regardant le public pour lui rappeler qu’il doit réagir, qu’on attend quelque chose de lui ; le joker pourra même parler à l’audience, la taquiner : « Jusqu’ici tout est parfaitement normal pour vous ; si cette histoire se passait avec vous, vous agiriez exactement de cette façon ;… » En agissant de la sorte, le joker aura la possibilité de mieux voir les membres du public et d’essayer de dénicher celui qui se tortille sur sa chaise sans oser dire « Stop ». Lorsqu’une intervention surgira, le Joker devra alors se ranger dans une position moins visible : le spect-acteur qui est monté sur scène veut montrer sa solution et le reste du public veut la voir ; le joker ne doit pas être à ce moment-là une interférence.

–         Interrompre l’action et poser des questions aux « spect-acteurs » : « Vous croyez vraiment que ce personnage n’avait aucune autre façon d’agir ? Vous croyez que ce personnage a adopté une bonne stratégie pour obtenir ce qu’il désire ? » et ainsi de suite pour essayer de créer une discussion d’où émergeront des propositions, des alternatives.

–         Si un spect-acteur a commencé à parler depuis sa chaise mais résiste à l’idée de monter sur scène, on peut le faire applaudir par le reste du public pour l’encourager.

            • Pour faire en sorte que l’ensemble du public soit actif :

–         Faire en sorte qu’ils puissent toujours commenter les interventions après qu’elles aient eu lieu, ce débat pourra les stimuler et les encourager à monter sur scène par la suite. Tenter de faire en sorte que le débat ne s’articule pas sur des questions de valeur (« Est-ce que c’était une bonne intervention ? »).

–         Ne jamais faire des conversations privées entre le Joker et un membre du public. Dès que l’un des membres du public pose une question ou fait un commentaire au Joker, celui-ci doit s’éloigner de lui pour qu’il soit forcé de parler plus fort. Si le reste du public n’a toujours pas entendu, le Joker peut répéter ce qu’il a dit, en le reformulant ou pas.

–         Le Joker peut également exposer son point de vue, mais en laissant très clair qu’il s’agit d’UN point de vue et pas de la seule interprétation autorisée. En demandant par la suite au public, ce qu’il a pensé de son opinion et en acceptant la critique de celui-ci.

• Quelques autres conseils :

–         Plus la personne qui fera le Joker sera timide, plus on la verra elle et moins on verra la fonction de Joker qu’elle assume. C’est un paradoxe qui veut que plus on est clair et expressif, moins on s’expose en tant qu’individu.

–         Une séance de Théâtre-Forum doit finir quand les spect-acteurs ne sont pas encore rassasiés. Si on les gave d’interventions et de discussions sans fin, ils retourneront à une passivité que nous voulions précisément combattre. Ce qui est important, c’est que les transgressions faites sur scène se fasse également dans la vie. Pour cela nous devons stimuler et exciter les gens, pas les rendre apathiques. Leur envie d’intervenir, de transformer, il faut qu’ils la gardent aussi après avoir franchi les portes du théâtre.

Si mon texte finit ici, la réflexion sur le Joker, elle, doit continuer.

Disponível em http://www.theatreoftheoppressed.org/en/index.php?nodeID=45 . Acesso em 05/05/2011.


[1] Le joker décrit dans le « système du Joker » dans leThéâtre de l’Opprimé n’est pas le joker du Théâtre Forum. L’un est un personnage- conteur, complètement inscrit dans, et circonscrit à, la scène ; l’autre est un maître de cérémonie qui complote à la désacralisation de celle-ci en invitant les spect-acteurs à détruire l’histoire présentée.
[2] Il n’en est pas moins vrai que le Théâtre de l’Opprimé est, ou sera, une nouvelle page dans l’utilisation sociale du Théâtre.
[3] En fait, il s’agissait d’un faux débat. Si le candidat à l’emploi était séropositif, le patron ne l’engagerait pas. Cette situation n’est malheureusement pas le fruit de l’imagination de la troupe qui a représenté la pièce. Ce genre de discrimination est courant au Brésil.

[4] C’est Luc Opdebeck, de la compagnie Formaat, qui m’a enseigné ce truc.